51.
Célestine ajusta son châle autour de son cou fripé, comme sa maman lui recommande souvent avant de sortir dans le grand matin rosé.
Célestine veut être à temps à son école du village mais aimerait d’abord passer par le sentier des noisetiers, voir si ce héron cendré est toujours fiché près du marais.
Alors elle marche à petits pas pressés aussi vite qu’elle peut dans ses souliers orthopédiques.
Elle cueille l’angélique à portée de main, et se met à réciter ce poème qu’elle devra dire debout, devant la classe, tout à l’heure.
On la voit murmurer tout doucement :
« On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade… » et ses lèvres au rouge à lèvres corail esquissent malgré elle un sourire.
Elle les sent, les tilleuls.
Et elle cueille des mûres sauvages qu’elle donnera à Gaston, tantôt, à l’heure de la récréation.
Elle l’aime bien, Gaston. Il prête ses billes et porte son cartable trop lourd en faisant le pitre.
Il habite à la ferme blanche où il y a toujours des géraniums aux fenêtres.
Et elle écrase imperceptiblement les fruits qui dégoulinent mauve entre son alliance et son solitaire.
Elle devrait aussi penser à prendre une craie, demain, pour faire sa propre marelle au centre de la cour. Ah, oui, c’est une bonne idée, ça! Et chercher également un bon caillou pour y jouer.
On retrouvera plus tard, assise assoupie à l’arrêt vicinal du sommet de la départementale 1215, une Gersoise de 87 ans, Célestine Gardignan, qui venait de s’installer à St Medard-en-Jalles, chez sa fille, et qui était portée disparue depuis samedi matin.